Allier équitation et équicie au sein d’un même projet
Article issu de la Revue de la Médiation Equine N°8 - 2015
Avec Clémence Lecomte, équicienne, monitrice d’équitation, créatrice de La Ferme des Korrigans, lieu de pratique de l’équicie depuis septembre 2014, en Bretagne
La Revue de la Médiation Equine : en tant que monitrice BPjeps, comment avez vous abordé la création de votre lieu d’équicie ?
Clémence Lecomte : Avant tout comme un lieu de médiation animale, avec le cheval comme partenaire. Que ce soit pour des séances d’équitation ou d’équicie, je propose un cadre qui permet de tisser une relation positive avec les chevaux et de cheminer ensemble vers les objectifs des personnes. Le bien-être des chevaux, pendant et en dehors des séances, est une préoccupation centrale. Cela implique de leur offrir des conditions de vie adaptées à leurs besoins (prés avec abris, vie en troupeau, alimentation raisonnée, suivi en ostéopathie, dentisterie...), d’entretenir une musculature et une locomotion adaptées aux situations de monte, de mettre en place des apprentissages venant nourrir une relation positive envers l’humain, d’être attentif aux indicateurs de bien-être et de mal-être pendant les séances. Cette approche est bénéfique pour la sécurité de tous et pour la qualité de l’accompagnement, aussi bien en équicie, qu'en équitation. Quelque soient les publics accompagnés, ma démarche est similaire : accueillir en individuel, concevoir un projet avec la personne, dans la durée, à un rythme qui lui correspond. Même si les séances d'équitation sont davantage centrées sur les apprentissages équestres, il m'arrive avec certains cavaliers d'utiliser les outils de suivi de l'équicie et une approche de relation d'aide.
R.M.E. : vos pratiques d’équicienne et de monitrice sont donc complémentaires ?
C.L. : En équitation, ma pratique d'équicienne me donne des informations sur la situation qui se joue pour la personne et le cheval. J’ai le sentiment d’avoir davantage d’outils pour aider les personnes qui viennent officiellement « monter à cheval », mais qui ont souvent une autre attente non verbalisée : celle d'un accompagnement vers un mieux-être via la relation au cheval. La plupart des parents qui me confient leurs enfants sont également très conscients de l'impact de ce type de séances d'équitation sur le développement psychomoteur, la gestion émotionnelle, les aptitudes sociales...
A l’inverse, ma casquette de monitrice est également utile en équicie. Elle m'offre par exemple la possibilité de faire évoluer certains projets vers de l'équitation adaptée, davantage centrée sur les apprentissages équestres. Je pense ainsi à un monsieur hémiplégique, déjà cavalier avant de connaître ce handicap, que j’accompagne en équicie pour l'instant, mais dont le projet évoluera probablement dans les années à venir vers de l'équitation adaptée. Cette double formation me permet d’accueillir et d’accompagner des publics variés, issus de réseaux différents et sur des périodes complémentaires de mon emploi du temps : l’équitation plutôt le mercredi, le soir, le week-end ou pendant les vacances, alors que les séances d’équicie sont plus souvent positionnées en journée, durant la semaine. Sur le plan économique, c'est un atout considérable pour compléter l'activité d'équicie.
R.M.E. : et d’un point de vue de la cavalerie, n’est ce pas problématique ?
C.L. : Au contraire. Mes six chevaux et trois poneyx ont du coup un travail varié avec des activités diversifiées. Lors des séances d’équicie, ils ont généralement une activité physique faible, avec dans certains cas un peu d'inconfort et une demande d'attention soutenue. Avec les publics orientés vers l'équitation, nous réfléchissons justement à ce qui pourrait physiquement aider le cheval dans sa locomotion, son équilibre, son endurance, sa souplesse. Nous profitons également des sorties en extérieur pour leur changer les idées ! Les élèves des séances d'équitation contribuent à l'entretien physique et aux apprentissages des chevaux, travail indispensable pour qu'ils puissent interagir sereinement avec des personnes en difficultés par la suite.
R.M.E. :Est-ce que les bannières équicie et publics handicapés ne repoussent pas les publics valides?
C.L. : On pourrait l'imaginer, mais la réalité que e rencontre montrerait plutôt l'inverse. Le fait qu’il y ait un accompagnement en équicie rassure certaines personnes attirées par l'équitation, mais ayant beaucoup d'appréhensions. Peut-être se sentent-elles plus à même d'exprimer leurs inquiétudes dans ce contexte d'écoute ? La plupart sont davantage à la recherche d'une mise en relation avec le cheval que d'une pratique sportive de l'équitation. De part notre bannière équicie, nous affichons ostensiblement la recherche de bien-être (humain et équin) et de respect mutuel. Cette mixité de pratiques et de publics, sous une même philosophie, permet peut-être plus facilement de créer un lien de confiance.
Dans l'autre sens, certaines personnes en difficulté, qui pour différentes raisons auraient du mal à faire une démarche vers une activité connotée "handicap", sont peut-être plus à l'aise pour venir nous rencontrer sur le volet moins "stigmatisant" de l''équitation. Tout le monde parait satisfait de la mixité occasionnée, notamment plusieurs parents qui m'ont dit voir dans ces rencontres une situation très éducative sur la tolérance et la solidarité.
R.M.E. : sur le plan économique comment s’articule cette complémentarité ?
C.L.: Lors de ma récente installation en Bretagne, il a été plus rapide d'attirer des publics sur le registre de l’équitation. Les réseaux avec les institutions, la MDPH, sont plus longs à mettre en place. Se faire connaître des familles concernées par le handicap prend également du temps. Dans le cas d'une ouverture de structure où les charges peuvent être élevées dès le début, pouvoir compter sur les activités d'équitation permet un être élevées dès le début, pouvoir compter sur les activités d'équitation permet un démarrage plus serein...
A la ferme des Korrigans, nous avons la chance d'être propriétaire des terres et des chevaux, l’alimentation est produite sur place par mon conjoint avec lequel je suis associée en EARL (entreprise agricole). Pour autant, nous sommes dans la première année d'exercice et ne pouvons pas encore tirer un Smic chacun. Diplômée depuis peu, je vais maintenant communiquer plus lisiblement sur l'équicie, même si le bouche à oreille fonctionne déjà : les accompagnements se développent et je commence à être identifiée dans le secteur lié au handicap. A plus long terme, je compte compléter l’activité avec des initiations à l’équicie et des formations sur différentes thématiques pouvant, entre autres, être utiles aux moniteurs d'équitation adaptée. Il me semble important de préciser que nous avons sur la ferme un gîte de trois chambres, représentant un revenu complémentaire et un véritable atout pour l’activité d’équicie. Il nous permet de toucher des personnes recherchant un séjour sur le thème équestre. A ce jour, près de la moitié des familles accueillies dans le gîte a un lien avec le handicap.
Si vous souhaitez poser des questions ou demander conseil à Clémence, vous pouvez la contacter à l’adresse mail : clemence.lte@gmail.com
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